Ce sont les Vernon, dynastie anglaise de graveurs-imprimeurs sur porcelaine, qui ont introduit en France ces décors inspirés de la Compagnie des Indes, qu'ils avaient créés pour Minton (1). Ce dernier les avaient déjà largement diffusés au travers même d'autres fabriques anglaises et les diffusait encore lorsque les Vernon créèrent leur propre fabrique à Fismes (Marne) qui n'aura vécu que neuf ans (1853-1861). Cette courte production sous la marque à l'ancre aura le mérite de se voir récompensée par deux prix (2), tant elle rivalisait en qualité : Finesse de la porcelaine et qualité du décor, rivalisaient avec la porcelaine anglaise. Acculés à la faillite, c'est Sarreguemines qui dès 1865 en assumera la diffusion, ayant racheté formes et décors aux Vernon (3).
La faïencerie de Sarreguemines (4) n'avait jusqu'alors jamais produit de porcelaine, ce sont les Vernon qui lui apportèrent les techniques de fabrication de la pâte et de l'apposition de l'imprimé servant de trame pour le décorateur qui appliquera ses couleurs par la méthode dite de «remplissage». Sarreguemines industrialisant la production de ce qui n'était à Fismes qu'une affaire familiale, diffusera un produit de moins bonne qualité tant en porcelaine qu'en décor, mais pouvant encore rivaliser sur le marché avec la porcelaine anglaise. (5).
La porcelaine de Sarreguemines (6) a une composition proche de celle du verre (7). Très riche en silice, c'est ce qui lui donne cet aspect vitrifié et ce son cristallin. Sensible aux chocs thermiques, ce qui en fait sa fragilité, elle présente aussi beaucoup de particules métalliques difficiles à masquer sous la glaçure laiteuse et blanche pour n'avoir été assez moulues par les «useurs de grains». D'après des professionnels, la pâte aurait été cuite à haute température, 1200°C, proche de celle de la fusion du verre. L'application de l'imprimé puis des couleurs aurait été suivie d'une cuisson à basse température, inférieure à 600°C. Ceci explique la fragilité de la couleur à l'intérieur des tasses qui s'altère au fur et à mesure des décapages successifs des tanins de thé et de café avec les détergents.
Entre le 21/10/1861 date de vente des biens des Vernon à Fismes et le début de la diffusion en 1865 par Sarreguemines d'un produit ressemblant sans toutefois égaler, on peut imaginer que Sarreguemines fit des essais de fabrication. La preuve en est de cette tasse souvent considérée comme une contrefaçon. C'est une tasse à thé de petit diamètre, l'imprimé y est très marqué, voir baveux, épaissi par la réduction de taille, ce qui en occulte l'éclat des couleurs du remplissage. Le filet bordant est ocre-jaune et la courbe de l'anse est surlignée d'un pointillé tout comme sur le Fismes. La qualité de la porcelaine est de celle que Sarreguemines continuera à diffuser par la suite : Sonnante, blanche et opaque, marque à l'écusson vert accompagnée du numéro du décor.
De 1865 à 1876, Sarreguemines diffusera sous sa marque à l'écusson vert (8) un produit ressemblant à la production qu'avaient fait les Vernon à Fismes. Deux détails ont portant été modifiés : La forme des tasses est plus «boule», les moules utilisés ne seraient pas ceux de Fismes mais des spécialement créés par Sarreguemines, et la couleur du liséré de surlignage des formes qui du jaune, d'ailleurs repris de Minton, passe au brun. Les Vernon avaient déjà sur leur production à Fismes, transformé le trait continu surlignant l'anse des tasses Minton en un pointillé ne surlignant plus que la courbe supérieure de l'anse. Ce pointillé se retrouve aussi sur l'anse des couvercles des pièces de forme. Cette modification n'affecte en rien l'imprimé sous-jacent qui reste conforme aux planches originales de cuivre gravées des Vernon, le surlignage restant propre au décorateur appliquant ses couleurs. De ce fait il semblerait que Sarreguemines aurait repris tout ou partie des décorateurs ayant travaillé pour les Vernon, et du matériel de Fismes (9).
2 Septembre 1870, défaite de Sedan, la Lorraine est annexée à l'Allemagne, Sarreguemines est sous l'occupation allemande. La direction des faïenceries de Sarreguemines (10) décide qu'elle doit rester la marque française de notoriété. De ce fait elle transfert sa production à Digoin (Saône et Loire) (11) en 1876, et à Vitry le François (marne) en 1881 où elle diffuse ses porcelaines sous la marque à l'écusson associé à l'imprimé «SARREGUEMINES FRANCE». La qualité diffère dans la nuance des couleurs appliquées qui sont plus vives mais trop crues, brutes, pas travaillées. Sarreguemines gagne dans l'uniformité des tons, mais perd dans leur discrétion. Les anses des tasses et des couvercles perdent définitivement et en totalité leur surlignage en pointillé, même la forme des tasses à thé est affectée, elle est moins «boule», retrouvant ainsi la forme qu'elles avaient en Fismes. Les moules n'ont donc pas suivi le déménagement, tout ceci laisse à penser que Sarreguemines laisse sur place matériel et personnel n'emportant qu'un minimum du savoir-faire des Vernon.
11 Novembre 1918 c'est l'Armistice. La Lorraine redevient française, Sarreguemines réintègre son site originel et reprend sa marque d'origine à l'écusson vert. Plus n'est besoin d'affirmer sur son logo que la société est bien française. Voulant être à la pointe du progrès en matière de vente, Sarreguemines édite un catalogue avec des planches couleur de sa production. Celui de 1925 montre le retour à la marque initiale mais les tasses présentent toujours des anses non surlignées. Toutefois Sarreguemines retrouve ses anciens décorateurs, du moins ceux ayant reçu l'enseignement issu des Vernon, car les couleurs recouvrent leurs nuances d'antan.
1941 Sarreguemines est détruit par faits de guerre. La société ne reprendra jamais la fabrication de cette porcelaine avec ces décors, mais sa diffusion fût tellement importante qu'il ne soit encore pas rare de retrouver des pièces de ces services chez les antiquaires, à la grande joie des collectionneurs.
La pluralité des décors dont quatre dits «fleuris» et la pluralité des couleurs au nombre de trois (12), permet de nombreuses combinaisons. Lors de la constitution d'un service, uniforme ou non, ou même de l'association d'une tasse avec sa soucoupe, il convient donc d'observer une unité de ton sur une même couleur. C'est pourquoi à la numérotation principale qui définit le décor, a été associé un numéro qui correspond au ton de la couleur, ainsi en mariant des pièces de même numérotation dite secondaire, on retrouve cette uniformité du ton.
Les décors des Vernon ont aussi été reproduits sur de la faïence fine pour des pièces de forme ayant des fonctions associées aux services à dessert telle que le broc à eau, le mendiant, ou encore la melonnière.
© Hervé
LEPORI
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